Majomut : Producteur d’un café équitable, insertion dans un monde global.

 

San Cristobal de las Casas est bel et bien le fief d’une mobilisation sociale et environnementale. Majomut, producteur de café depuis 1983, a joué la carte de la production biologique depuis 1992. 30 ans d’évolution, 20 ans dans le commerce équitable, et une multitude d’avancées à l’actif de cette coopérative à la créativité débordante. Inspirez, respirez les effluves de café qui remontent du Mexique.

 

Une coopérative solide et solidaire

 

Drôle de nom pour une coopérative de café, seulement si on s’arrête à la barrière de la langue. Majomut signifie « Oiseaux moqueurs » dans la langue Tzotzile, une des communautés indigènes les plus représentées dans le région du Chiapas, au nord de San Cristobal de las Casas.

 

« Cette richesse indigène est un des fondements qui nous permis de passer aux travers des crises économiques » nous témoigne Fernando Rodriguez, coordinateur de Majomut. Des 940 familles qui composent la coopérative, 85% sont tzotziles, 15% sont Celtzoles. 35 communautés de l’alto Chiapas sont représentées, réparties dans 5 municipalités. « Mais notre force vient aussi de la structure démocratique de la coopérative, de la solidité des organes de direction comme le conseil d’administration qui assure la représentation avec les ONG et le gouvernement ou le conseil de vigilance qui gère les contrôles internes de production et de qualité ». Nous sommes bien dans une forme d’économie sociale et solidaire structurelle, productive et démocratique. « De plus, chaque communauté élit un représentant. Les 35 nominés forment l’assemblée de délégués où les propositions des associés sont discutées et les décisions communes sont prises.

 

La solidité de la coopérative permet de figer les prix du café quand il est acheté au producteur. « Et si il y a un bénéfice, les ressources collectives sont d’abord payées avant que l’excédent ne soit partagé entre les associés au prorata du nombre de kilogrammes de café vendus par chacun », continue Fernando. Une solidarité entre ces « actionnaires productifs », qui reçoivent alors la récompense de leur labeur.

 

La transition organique commencée bien tôt (dès 1992), donne aujourd’hui à Majomut la notoriété d’être quasiment 100% biologique. « les derniers producteurs sont en transition {…} mais tout cela ne s’est pas fait en un jour, la transition fut progressive, de 150 à 250 producteurs etc. » De part sa cosmologie orientée vers la conservation de la terre, la culture maya aida à lancer le processus de transformation. « Nous avons une équipe technique, un ingénieur et un technicien agronome qui forment plusieurs promoteurs au sein de chaque communauté, selon leur taille ». Une transmission qui nécessite peu de ressources et renforce l’engagement de chacun. L’Union des Communautés Indigènes de la Région del Ishtmo (UCIRDI), fut un des organismes auprès duquel Majomut appris énormément.

 

Majomut ne réalise que très peu de publicité. « Nous préférons que nos acheteurs transmettent leur intérêt par le bouche à oreille ». Même si les labels aident à la promotion de la coopérative, la meilleur approche passe par la dégustation.

 

La sélection du grain, gage de qualité du café

 

La sélection du café Majomut passe par des tests de saveur en laboratoire. Plusieurs échantillons de café sont mélangés en petits tas pour évaluer le corps, le goût, l’odeur, afin de classer et de valider la production. « Certains acheteurs exigent une saveur floral par exemple, la sélection du café et la variété sont devenus un gage de qualité spécifique de Majomut ».

 

Deux contrôles viennent s’ajouter dans la production. Le premier en interne, au travers de fiches « contrôle de produit ». Les associés effectuent un roulement et vont à tour de rôle évaluer le travail de leurs voisins, afin de garder la certification biologique. Cette dernière est délivrée par un organisme externe qui se base à la fois sur les fiches techniques produites en interne tout en évaluant sur place les réelles pratiques d’agro-écologie. On pratique ici aussi la conservation du sol, l’élaboration de composte organique comme la bonne gestion du milieu environnemental. La révision et les recommandations faites, les producteurs et la coopérative disposent de plusieurs mois pour remplir les objectifs.

 

Le commerce équitable, branche internationale de l’économie sociale et solidaire

 

Quelle doit être la place de l’économie sociale et solidaire pour une coopérative qui vend un produit comme le café, très peu consommé dans la culture mexicaine? Elle se joint tout simplement au marché global en gardant un prix d’achat au producteur équitable. « L’ESS va plus loin que le marché local. Le travail collectif, l’aide mutuelle, c’est réellement ce que signifie l’ESS. Mais on ne peut pas la laisser à l’échelle d’un territoire. Nous dépendons tous les uns des autres ». Du point de vue de la coopérative, il n’y a pas d’autres marchés possible.

 

Ainsi depuis 19 ans, le label commerce équitable joue un rôle prépondérant dans la commercialisation du café Majomut. Chaque année, une analyse globale de la coopérative est réalisée par l’organisme FLO-CERT. Les inspecteurs s’attardent essentiellement sur l’aspect démocratique, la transparence et la reddition de compte.

 

Mais selon Fernando « on perd de plus en plus les objectifs du commerce équitable ». A la base, le commerce équitable a été créé pour faciliter les conditions d’accès au marché des petits producteurs. Malheureusement « le label commerce équitable coût toujours plus cher chaque année ». La multiplication des nouveaux venus et la logique économique poussent le prix des certifications vers le haut. FLO-CERT s’est séparé en deux organismes donnant naissance à Fair Trade USA, qui a lancé un nouveau label « Commerce équitable pour tous ». Selon Fernando, « ce nouveau label n’est ici que pour perdre le consommateur, et donner la possibilité aux plantations agricoles de grandes échelles utilisant des techniques industrielles, d’intégrer plus massivement le commerce équitable ». « Bien entendu le cercle du commerce équitable doit grandir, mais les conditions d’entrée doivent être clarifiées à la base ». Visiblement, les ces grandes plantations agricoles ont plus de facilités financières et les conditions des travailleurs sont très peu évaluées, ce qui diminue leur légitimité aux yeux de Majomut.

 

Fiers et ne voulant pas se faire marcher sur les pieds, Majomut et plusieurs organisations construisent depuis 2006 un réseau international de petits producteurs : La CLAC ou Coordination d’Amérique Latine et des Caraïbes. Regroupant surtout des producteurs de café, mais aussi de cacao et de fruits, le réseau travaille pour leur nouveau label « petits producteurs » à l’intérieur du commerce équitable. L’objectif est clairement de se différencier des grandes plantations agricoles. « il y a déjà des réseaux d’acheteurs qui sont intéressés par le label, et qui comprennent notre volonté de séparation, par compassion ou tristesse certes, mais le marché commence ici ».

 

Développement communautaire intégral

 

Dans la logique coopérative, Majomut achète à ses petits producteurs de café pour limiter les intermédiaires et garantir un prix juste. Cependant, l’organisme ne bénéficie pas d’une autonomie économique, et se voit dans l’obligation d’emprunter de l’argent à des organismes extérieurs comme Root capital. De plus, le label commerce équitable apporte à Majomut la possibilité de bénéficier d’une avance de 60% des importateurs concernant la vente d’un lot de café. Mais c’est souvent insuffisant et cette avance donne toujours lieu à un taux d’intérêt.

 

C’est pourquoi depuis 2004, les associés de Majomut ont fondé une micro-banque paysanne. Aujourd’hui composée de 514 associés, elle gère plus de 3 millions de pesos mexicains (175 00 €). Cette banque au fond propre leur permet de limiter leur dépendance envers les organismes extérieurs. Ainsi, quand Majomut a besoin d’un fond pour vendre ses lots de café, elle emprunte en partie à la micro-banque. Les intérêts restent ainsi dans le cercle des communautés. « Les associés entrent avec une épargne et ensemble ils prêtent leur argent à un intérêt défini, et tout le monde est gagnant ». En situation d’urgence, une partie du capital peut aussi être prêtée à un des producteurs, à hauteur de son épargne.

 

« Cet outil de financement rural s’est adapté aux besoins des communautés, c’est leur système ». Dans un futur proche, l’objectif est d’atteindre l’autonomie financière de la coopérative dans la vente de son café.

 

Pour conclure le développement communautaire, Majomut a aussi lancé une ligne de production alimentaire, gérées par les femmes. A la fin de l’année 1996, les femmes et filles des associées ont fait part de leur inquiétudes quant à la seule production du café et leur non intégration au travail communautaire. Sans expérience dans la culture d’autres produits, elles estimèrent que les promoteurs pouvaient les aider à développer des jardins communautaires pour la production et l’autoconsommation alimentaire.

 

La taille moyenne des exploitations étant de 1 hectare, la place manquait pour développer une nouvelle production agricole. A l’initiative d’un groupe de femmes, on discuta de parcelles collectives, travaillées selon l’accessibilité et la convenance. La production est aujourd’hui distribuée de manière équitable entre les familles ayant participées. Majomut apporte les outils matériels et la technique, mais travaille aussi avec les femmes pour une production optimisée sous serre de tomates, de champignons, de viande animale et d’œufs.

 

« Majomut, ce n’est pas seulement du café », conclut Fernando.

 

A long terme, l’objectif pourrait être de rejoindre un réseau de producteurs et consommateurs responsables. « Cette avancée nécessite des ressources basiques, de l’organisation, de l’investissement personnel, une camionnette, un partenariat etc. Les légumes auront besoin d’être conservés ». Il ne faut pas oublier la vision première de cette production, limiter les transports vers la ville, toujours coûteux. Chaque chose en son temps.

 

Majomut, producteur de café biologique, assure un développement progressif de sa coopérative et de ses associés dans une logique durable qui vise à améliorer la production et la qualité de vie de ses membres. Son insertion dans un monde global montre la nécessité d’organismes internationaux forts, dirigés par des politiques publiques visant à contrebalancer le marché et permettre une meilleur intégration des petits producteurs.

 

Vos reporters sur place,

 

MG-MT

 

 

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