San Cristobal de las Casas : Organisation sociale à l’échelle d’une ville

 

L’histoire de San Cristobal est liée à ses communautés indigènes. Dès 1969, l’évêque Samuel Ruiz fonde l’organisme DESMI (Desarrollo Economico et Social de los Mexicanos Indigenas), avec un objectif clair : Sortir les peuples indigènes de l’isolement et la pauvreté. Ils subissent alors une très forte discrimination, allant jusqu’à la non-reconnaissance et le non respect de leurs droits humains les plus aliénables. Défenseur de la théologie de la libération (consistant à libérer les plus démunis de leurs conditions de vie intolérables), l’évêque Ruiz se lance dans une quête de ressources extérieures, afin de résoudre les besoins de la population, de l’accès à l’eau potable aux soins cliniques.

 

Depuis 1979, DESMI est désormais une association civile et poursuit son propre chemin indépendamment de l’Eglise. L’organisation soutient des projets de travail collectif, tout comme l’autodétermination des communautés ayant leur propre idée de développement.

 

Même si l’effectif a diminué de 50% en 10 ans, DESMI s’attache à valoriser la formation de plus de 300 communautés autour de la solidarité dans la production agro-écologique. DESMI intervient notamment dans la commercialisation du café des communautés zapatistes au sein du commerce équitable. Même détaché de l’Eglise, DESMI voit ses fonds solidaires provenir essentiellement d’organismes religieux. On notera l’aide du Comité Catholique Français contre la faim et de l’organisme allemand Pan para el Mundo (traduction espagnole).

 

Aujourd’hui, la coordinatrice Maria Estrella Busco reste optimiste dans le maintien des activités de DESMI. Les fonds sont sur le déclin suite à la crise et aux nécessitées plus urgentes des pays africains. « Le Mexique n’est plus vu comme un pays sous-développé, mais cette année, nous avons enregistré une augmentation de 12 millions de personnes en situation de pauvreté alimentaire supplémentaire ».

 

L’alimentation de base des mexicains est le maïs, denrée normalement accessible par tous… Avant que le Mexique ne devienne dépendant de la production de maïs transgénique à faible coût provenant des Etats-Unis. De plus, l’arrivée des biocarburants transformés à partir de la plante n’a fait que grimper le prix du marché, provoquant une véritable « crise du maïs ». Nombreux sont les petits producteurs du Chiapas qui ont déserté leurs parcelles rurales, du fait de la main mise des industriels sur le marché. Une loi vient même de passer récemment au parlement mexicain, autorisant désormais la production OGM dans les Etats du nord du pays.

 

Il en faut plus pour vaincre San Cristobal. Pour revaloriser la culture locale du maïs, Luz Del Carmen Silva Perez travaille avec 33 femmes de San Cristobal de las Casas au sein de l’organisme Mujeres y Maiz sur sa transformation et sa commercialisation sous forme de tortilla (galette de mais).

 

Aujourd’hui, Mujeres y Maiz achète sa production uniquement à l’échelle locale en provoquant la transition biologique des cultures des petits producteurs. « La hausse du prix ne facilite pas cette transition, car ces producteurs n’ont pas encore la confiance nécessaire dans les techniques agro-écologiques, et ils ont aujourd’hui peur de perdre leur maigre récolte ».

 

Pour augmenter la production locale et saine, Luz Del Carmen cherche à motiver la consommation locale. A long terme, l’objectif est d’établir des partenariats exclusifs entre l’organisation et les producteurs ayant une part organique. Les garanties d’achat sont vectrices de production.

 

En attendant, l’association Mujeres et Maiz fait partie du réseau de producteurs et consommateurs Comida Sana y Cercana (Nourriture saine et proche). Véritable marché responsable, il permet de regrouper la production locale garantissant son propre label.

 

Hector Moguel est un de ces producteurs à la volonté inébranlable. Il défend le fait que les produits locaux doivent être sains et ne pas coûter plus cher. « Au supermarché, on ne sait pas toujours d’où proviennent les produits, et les conditions d’acheminement ne sont pas les meilleures pour les produits frais ».

 

200 familles s’alimentent dans ce circuit court créé par 30 producteurs. « Il y a beaucoup de gens qui viennent le week-end, même si nous changeons souvent de lieux. Au final, les gens nous connaissent sous la forme d’un réseau et non de producteurs organiques isolés ».

 

Avec l’aide du centre de recherche EcoSur, les producteurs ont mis en place une certification participative, à laquelle les consommateurs peuvent même participer. « Chacun a sa manière de travailler, mais nous gardons une ligne commune autour de la production biologique et la diversité dans les produits. On regrette par exemple que la certification Certinex n’ait des exigences que sur le volume et non la diversité ». Ainsi, des groupes d’investigateurs hétéroclites passent en revue les plantations de chacun. On y étudie la nature des produits, et on oriente les producteurs vers la diversité. La participation des consommateurs renforce ce lien de proximité et garantit un label local reconnu.

 

La coopération, c’est une manière d’avancer plus vite dans l’intérêt général. Encore une notion que le Taller Leñateros (littéralement L’atelier des bûcherons) a compris avec en plus une dose débordante de créativité. Cet atelier coopératif est né d’une idée qui nous parait aujourd’hui simple: Recycler le papier. Mais en 1975, auriez vous pensé à récupérer le papier du tout San Cristobal pour le revaloriser sous formes diverses? De l’idée d’Ambar Past, américaine expatriée à l’origine du projet, le Taller Leñateros propose aujourd’hui son style local au monde entier. « Paradoxalement, l’atelier est plus connu à l’étranger! » nous commente Ambar.

 

Sur place, le routard recommande de venir visiter ce monde bien particulier. On y découvre les étapes de la refrabrication de la pâte à papier, en passant par l’impression à l’ancienne dont Gutemberg serait fier, à la finition des livres.

 

Ici, le livre phare se nomme Bolom Chon. Arrivé en 2007, il raconte le folklore musical et artistique de la communauté indigène Tzotzile. Très populaire au Chiapas, il est en ce moment en processus de traduction en langue arabe. A l’heure où nous passions, l’atelier concentrait ses forces sur la finalisation de 100 livres. 2 semaines et 11 personnes à temps plein étaient alors nécessaires. Au total, plus de 250 familles travaillent en orbite autour de la coopérative, fournissant les fibres naturelles, les fleurs, tout en ayant leur propre activité en parallèle.

 

Preuve que le recyclage est à son paroxysme à San Cristobal, il est désormais écrit sur la porte de l’atelier « Nous n’acceptons plus de papier », pour des problèmes… de stocks ! Récemment, le recyclage se tourne vers les cd, pour donner naissance à d’étonnantes compositions. Créatif et coopératif, l’atelier réussit bien son évolution.

 

Avec Majomut en chef d’orchestre, le travail solidaire se porte bien dans la ville de San Cristobal de las Casas, preuve qu’un développement local peut porter ses fruits et dynamiser l’emploi dans les régions non industrialisées et isolées.

 

Vos reporters sur place,

 

MG-MT

 

 

Majomut : Producteur d’un café équitable, insertion dans un monde global.

 

San Cristobal de las Casas est bel et bien le fief d’une mobilisation sociale et environnementale. Majomut, producteur de café depuis 1983, a joué la carte de la production biologique depuis 1992. 30 ans d’évolution, 20 ans dans le commerce équitable, et une multitude d’avancées à l’actif de cette coopérative à la créativité débordante. Inspirez, respirez les effluves de café qui remontent du Mexique.

 

Une coopérative solide et solidaire

 

Drôle de nom pour une coopérative de café, seulement si on s’arrête à la barrière de la langue. Majomut signifie « Oiseaux moqueurs » dans la langue Tzotzile, une des communautés indigènes les plus représentées dans le région du Chiapas, au nord de San Cristobal de las Casas.

 

« Cette richesse indigène est un des fondements qui nous permis de passer aux travers des crises économiques » nous témoigne Fernando Rodriguez, coordinateur de Majomut. Des 940 familles qui composent la coopérative, 85% sont tzotziles, 15% sont Celtzoles. 35 communautés de l’alto Chiapas sont représentées, réparties dans 5 municipalités. « Mais notre force vient aussi de la structure démocratique de la coopérative, de la solidité des organes de direction comme le conseil d’administration qui assure la représentation avec les ONG et le gouvernement ou le conseil de vigilance qui gère les contrôles internes de production et de qualité ». Nous sommes bien dans une forme d’économie sociale et solidaire structurelle, productive et démocratique. « De plus, chaque communauté élit un représentant. Les 35 nominés forment l’assemblée de délégués où les propositions des associés sont discutées et les décisions communes sont prises.

 

La solidité de la coopérative permet de figer les prix du café quand il est acheté au producteur. « Et si il y a un bénéfice, les ressources collectives sont d’abord payées avant que l’excédent ne soit partagé entre les associés au prorata du nombre de kilogrammes de café vendus par chacun », continue Fernando. Une solidarité entre ces « actionnaires productifs », qui reçoivent alors la récompense de leur labeur.

 

La transition organique commencée bien tôt (dès 1992), donne aujourd’hui à Majomut la notoriété d’être quasiment 100% biologique. « les derniers producteurs sont en transition {…} mais tout cela ne s’est pas fait en un jour, la transition fut progressive, de 150 à 250 producteurs etc. » De part sa cosmologie orientée vers la conservation de la terre, la culture maya aida à lancer le processus de transformation. « Nous avons une équipe technique, un ingénieur et un technicien agronome qui forment plusieurs promoteurs au sein de chaque communauté, selon leur taille ». Une transmission qui nécessite peu de ressources et renforce l’engagement de chacun. L’Union des Communautés Indigènes de la Région del Ishtmo (UCIRDI), fut un des organismes auprès duquel Majomut appris énormément.

 

Majomut ne réalise que très peu de publicité. « Nous préférons que nos acheteurs transmettent leur intérêt par le bouche à oreille ». Même si les labels aident à la promotion de la coopérative, la meilleur approche passe par la dégustation.

 

La sélection du grain, gage de qualité du café

 

La sélection du café Majomut passe par des tests de saveur en laboratoire. Plusieurs échantillons de café sont mélangés en petits tas pour évaluer le corps, le goût, l’odeur, afin de classer et de valider la production. « Certains acheteurs exigent une saveur floral par exemple, la sélection du café et la variété sont devenus un gage de qualité spécifique de Majomut ».

 

Deux contrôles viennent s’ajouter dans la production. Le premier en interne, au travers de fiches « contrôle de produit ». Les associés effectuent un roulement et vont à tour de rôle évaluer le travail de leurs voisins, afin de garder la certification biologique. Cette dernière est délivrée par un organisme externe qui se base à la fois sur les fiches techniques produites en interne tout en évaluant sur place les réelles pratiques d’agro-écologie. On pratique ici aussi la conservation du sol, l’élaboration de composte organique comme la bonne gestion du milieu environnemental. La révision et les recommandations faites, les producteurs et la coopérative disposent de plusieurs mois pour remplir les objectifs.

 

Le commerce équitable, branche internationale de l’économie sociale et solidaire

 

Quelle doit être la place de l’économie sociale et solidaire pour une coopérative qui vend un produit comme le café, très peu consommé dans la culture mexicaine? Elle se joint tout simplement au marché global en gardant un prix d’achat au producteur équitable. « L’ESS va plus loin que le marché local. Le travail collectif, l’aide mutuelle, c’est réellement ce que signifie l’ESS. Mais on ne peut pas la laisser à l’échelle d’un territoire. Nous dépendons tous les uns des autres ». Du point de vue de la coopérative, il n’y a pas d’autres marchés possible.

 

Ainsi depuis 19 ans, le label commerce équitable joue un rôle prépondérant dans la commercialisation du café Majomut. Chaque année, une analyse globale de la coopérative est réalisée par l’organisme FLO-CERT. Les inspecteurs s’attardent essentiellement sur l’aspect démocratique, la transparence et la reddition de compte.

 

Mais selon Fernando « on perd de plus en plus les objectifs du commerce équitable ». A la base, le commerce équitable a été créé pour faciliter les conditions d’accès au marché des petits producteurs. Malheureusement « le label commerce équitable coût toujours plus cher chaque année ». La multiplication des nouveaux venus et la logique économique poussent le prix des certifications vers le haut. FLO-CERT s’est séparé en deux organismes donnant naissance à Fair Trade USA, qui a lancé un nouveau label « Commerce équitable pour tous ». Selon Fernando, « ce nouveau label n’est ici que pour perdre le consommateur, et donner la possibilité aux plantations agricoles de grandes échelles utilisant des techniques industrielles, d’intégrer plus massivement le commerce équitable ». « Bien entendu le cercle du commerce équitable doit grandir, mais les conditions d’entrée doivent être clarifiées à la base ». Visiblement, les ces grandes plantations agricoles ont plus de facilités financières et les conditions des travailleurs sont très peu évaluées, ce qui diminue leur légitimité aux yeux de Majomut.

 

Fiers et ne voulant pas se faire marcher sur les pieds, Majomut et plusieurs organisations construisent depuis 2006 un réseau international de petits producteurs : La CLAC ou Coordination d’Amérique Latine et des Caraïbes. Regroupant surtout des producteurs de café, mais aussi de cacao et de fruits, le réseau travaille pour leur nouveau label « petits producteurs » à l’intérieur du commerce équitable. L’objectif est clairement de se différencier des grandes plantations agricoles. « il y a déjà des réseaux d’acheteurs qui sont intéressés par le label, et qui comprennent notre volonté de séparation, par compassion ou tristesse certes, mais le marché commence ici ».

 

Développement communautaire intégral

 

Dans la logique coopérative, Majomut achète à ses petits producteurs de café pour limiter les intermédiaires et garantir un prix juste. Cependant, l’organisme ne bénéficie pas d’une autonomie économique, et se voit dans l’obligation d’emprunter de l’argent à des organismes extérieurs comme Root capital. De plus, le label commerce équitable apporte à Majomut la possibilité de bénéficier d’une avance de 60% des importateurs concernant la vente d’un lot de café. Mais c’est souvent insuffisant et cette avance donne toujours lieu à un taux d’intérêt.

 

C’est pourquoi depuis 2004, les associés de Majomut ont fondé une micro-banque paysanne. Aujourd’hui composée de 514 associés, elle gère plus de 3 millions de pesos mexicains (175 00 €). Cette banque au fond propre leur permet de limiter leur dépendance envers les organismes extérieurs. Ainsi, quand Majomut a besoin d’un fond pour vendre ses lots de café, elle emprunte en partie à la micro-banque. Les intérêts restent ainsi dans le cercle des communautés. « Les associés entrent avec une épargne et ensemble ils prêtent leur argent à un intérêt défini, et tout le monde est gagnant ». En situation d’urgence, une partie du capital peut aussi être prêtée à un des producteurs, à hauteur de son épargne.

 

« Cet outil de financement rural s’est adapté aux besoins des communautés, c’est leur système ». Dans un futur proche, l’objectif est d’atteindre l’autonomie financière de la coopérative dans la vente de son café.

 

Pour conclure le développement communautaire, Majomut a aussi lancé une ligne de production alimentaire, gérées par les femmes. A la fin de l’année 1996, les femmes et filles des associées ont fait part de leur inquiétudes quant à la seule production du café et leur non intégration au travail communautaire. Sans expérience dans la culture d’autres produits, elles estimèrent que les promoteurs pouvaient les aider à développer des jardins communautaires pour la production et l’autoconsommation alimentaire.

 

La taille moyenne des exploitations étant de 1 hectare, la place manquait pour développer une nouvelle production agricole. A l’initiative d’un groupe de femmes, on discuta de parcelles collectives, travaillées selon l’accessibilité et la convenance. La production est aujourd’hui distribuée de manière équitable entre les familles ayant participées. Majomut apporte les outils matériels et la technique, mais travaille aussi avec les femmes pour une production optimisée sous serre de tomates, de champignons, de viande animale et d’œufs.

 

« Majomut, ce n’est pas seulement du café », conclut Fernando.

 

A long terme, l’objectif pourrait être de rejoindre un réseau de producteurs et consommateurs responsables. « Cette avancée nécessite des ressources basiques, de l’organisation, de l’investissement personnel, une camionnette, un partenariat etc. Les légumes auront besoin d’être conservés ». Il ne faut pas oublier la vision première de cette production, limiter les transports vers la ville, toujours coûteux. Chaque chose en son temps.

 

Majomut, producteur de café biologique, assure un développement progressif de sa coopérative et de ses associés dans une logique durable qui vise à améliorer la production et la qualité de vie de ses membres. Son insertion dans un monde global montre la nécessité d’organismes internationaux forts, dirigés par des politiques publiques visant à contrebalancer le marché et permettre une meilleur intégration des petits producteurs.

 

Vos reporters sur place,

 

MG-MT

 

 

La Paz : A la rencontre d’un mouvement national

 

Dans les articles précédents, nous avons abordés à plusieurs reprises la notion d’articulation du mouvement d’économie solidaire et sociale, horizontale et verticale. La première distingue le regroupement des organisations locales, la seconde consiste à changer d’échelle, avec la mise en place de réseaux nationaux et internationaux.

 

C’est un processus nécessaire selon les économistes de l’ESS, qui tend à renforcer les réflexions et l’impact des initiatives locales. Il vise à donner de la crédibilité à un mouvement porté depuis le bas de l’échelle par les acteurs locaux. La multiplication de ces « bulles locales » nous à amené à rencontrer le mouvement national bolivien pour une économie sociale et solidaire et un commerce équitable. Récit d’une lutte collective pour une coopération avec les pouvoirs publics.

 

 

Associations, entrepreneurs, doctorants, chercheurs, représentant du gouvernement, organismes internationaux et le dernier invité surprise Alternavista s’étaient données rendez-vous lundi 19 mars. A l’initiative du Centre d’Etudes et de Coopération Internationale (CECI – Canada)  et de la présidente du mouvement pour l’ESS et le CJ Wilma Quinteros, l’assemblée s’est regroupée autour d’une table ronde afin de partager et d’échanger les expériences en matières d’ESS et analyser l’avancée des actions menées conjointement.

 

La seule présence du Vice Ministre du Commerce Intérieur et des Exportations montre la volonté des acteurs de l’ESS de travailler main dans la main avec les pouvoirs publics. « L’un des objectifs principaux du mouvement est d’avoir une réelle incidence sur les politiques publiques pour qu’elles tendent à améliorer les conditions des petits entrepreneurs, appuyées par des textes de lois », nous commente Wilma Quinteros.

 

Plusieurs chercheurs sont allés s’inspirer des expériences voisines en matière d’ESS. C’est le cas de Beatriz Delgado, qui présente ses travaux après un passage au Brésil. « Cela fait déjà 10 ans que le Brésil s’est doté d’un Secrétariat d’Etat dédié à l’ESS. Il y a de nombreuses avancées, le mouvement est reconnu et impulsé par l’Etat, qui achète par exemple aux producteurs à un prix juste ». L’Equateur quant à lui est un pays souvent cité pour être le seul à avoir intégrer l’ESS dans sa constitution et dans les textes de lois.

 

Certains représentants d’associations d’artisans et de producteurs boliviens ont fait le déplacement. Leur intérêt est tourné vers les organismes de finances solidaires, à qui la seconde partie de l’atelier est réservée. « Nous devons évidemment conter sur les finances solidaires, qui doivent être soutenues par les politiques publiques de la même manière. Plusieurs banques se disent de microcrédit populaire mais ne répondent pas aux critères des producteurs, les requis étant inatteignables tout comme la hauteur des crédits prêtés » continue Wilma.

 

 

Porte parole de son association regroupant 1300 familles d’artisans, Emilana Yogua nous confie que « La qualité des produits est très liée à la l’organisation et à la gestion économique et financière, à l’analyse des coûts. Nous partageons nos idées sur la production, l’innovation, la qualité. Ces échanges internes résultent de la solidarité qui nous lient et nous font travailler dans cette logique d’économie sociale et solidaire de manière efficace »

 

Au total, 75 organisations ont rejoint le mouvement bolivien depuis sa création en 2008. « Le réseau devrait croître plus rapidement, mais nous avons la volonté de renforcer les organismes productifs du pays, en améliorant les capacités de production. Cela passe par des stratégies de formation, d’accompagnement, mais aussi de communication au niveau du gouvernement, du milieu académique et dans les médias », nous affirme Dario Alanoca de l’organisme Caritas Bolivianas, qui fait en plus partie de la table technique du mouvement.

 

 

C’est d’ailleurs sur ces thèmes de diffusion qu’est centrée l’intervention du Monsieur Velasco. Chercheur pour le Forum International d’Economie Sociale et Solidaire (FIESS), il présenta les résultats boliviens d’une étude transversale sur l’ESS quant à l’avancée des politiques publiques dans plusieurs pays du monde comme l’Espagne, le Canada, l’Afrique du sud ou encore le Mali. Enrichi de ces autres expériences, Monsieur Velasco considère plusieurs axes de réflexion pour renforcer les liens entre les pouvoirs publics et la société civile bolivienne :

 

- Renforcer la recherche théorique et appliquée pour avoir des indicateurs visibles et des mesures concrètes de l’avancée des différent formes de l’ESS.

 

- Etendre la plateforme d’associés stratégiques, dans le public au niveau départemental, régional  comme au sein des syndicats et des entreprises.

 

- Jouer sur des terrains compétitifs en matière d’ESS et commerce équitable.

 

- Articuler les stratégies autour d’autres formes du développement comme la sécurité alimentaire, le respect de l’environnement, l’aspect générationnel et l’intégration de la femme.

 

Le FIESS s’est déroulé en octobre dernier à Montréal, devant 86 pays représentés et plus de 1500 personnes réunies. Une marque de l’intérêt mondial porté à l’ESS.

 

L’atelier s’est terminé par une réflexion collective sur les actions à mener pour renforcer le mouvement bolivien d’ESS. Trois groupes de travail se sont formés et doivent rendre compte de l’avancée des travaux boliviens, sous deux mois, et sur les thèmes suivants :

 

- Relation entre la société civile et le secteur public à tous les niveaux

 

- Education en Economie Sociale et Solidaire

 

- Promotion, sensibilisation et diffusion de l’ESS

 

En fin de journée, Wilma nous accorde sa conclusion de cette journée de travail « Il nous manque des campagnes massives de diffusion autour de l’ESS, mais cela représente du temps, de l’engagement et de l’investissement volontaire. C’est aussi passer moins de temps auprès de sa famille. Il n’y a aucun intérêt économique, nous nous battons pour un développement humain intégral, pour que la Bolivie sorte de la pauvreté. Nous allons dans le bon sens, vers l’équité ».

 

 

Partager, réfléchir, agir. L’ESS en Bolivie prend ses racines dans son capital humain.

 

Vos reporters sur place,

 

MG-MT

 

Projet SARA : Renforcement de la production agricole en territoire Aramisi

 

La ville de Cochabamba en Bolivie est réputée pour son université agronome et sa spécialité en agro-écologie. Pourtant, c’est à l’extérieur de la ville, perdu dans les montagnes à près de 4000 m d’altitude que se tient un des meilleurs exemples de cas pratique de cette activité. Là où le relief ne facilite pas la production agricole, un groupe d’ingénieurs agronomes travaille en collaboration avec deux paroisses locales afin d’améliorer les techniques de production locales. Rencontre avec Séraphin, défenseur d’une véritable agriculture durable pour des communautés abandonnées à leur territoire.

 

 

De la spiritualité à l’agronomie

 

En 1996, la communauté Aramisi a vu arriver 2 ingénieurs agronomes et coordinateurs de projets, sous la demande du père de la paroisse, P. Axel Gerling. Cet homme de foi travaille déjà sur les thèmes de la santé et de l’éducation avec les communautés avoisinantes. Voyant que la majorité des familles n’a même pas accès à l’auto-production (les pères et fils partant à la ville pour trouver l’eldorado), il décide de faire appel aux ingénieurs agronomes. Le projet SARA (Servicio de Asesoria Rural Ayninakuy – Service de Conseil Rural Mutuel) est né. Grâce à des fonds internationaux allemands, l’objectif central est de maitriser la production, tout en renforçant la foi des populations dans leur territoire. En effet, les populations indigènes ont une forte croyance dans la « Pachamama » alias « mère nature » en langue Queschua.

 

Le centre paroissial se transforme alors en un véritable terrain d’expérience et lieu de formation. German Vargas et Ricardo Crespo commencent leur travail de production avec 4 familles. Aujourd’hui, c’est 400 familles qui ont bénéficié des connaissances en agronomie et peuvent désormais vendre sur les marchés locaux en plus de subvenir à leur propre consommation. Le secret de leur réussite? La maîtrise des ressources territoriales et le respect des plans « naturels ».

 

 

Oui, car avant d’orienter véritablement leurs actions vers l’agro-écologie, il fallait transformer le terrain montagneux en un véritable lieu de production. Pas simple sur le papier, les ingénieurs ont mis en place un système de terrasses adapté au relief. Un véritable découpage qui favorise la surface de production tout comme l’écoulement des eaux de ruissellement et leur infiltration, mais limite aussi l’érosion des sols. Depuis 3 ans, la protection du sol et surtout de sa fertilité deviennent alors le centre du projet. Le centre paroissial évolue lui aussi ses formations vers les pratiques d’agro-écologie

 

 

Le programme SARA : 4 objectifs indissociables sur 3 ans.

 

Récemment arrivé dans l’équipe, Séraphin nous présente le centre et plusieurs productions agricoles de la communauté. Son entrée est dûe à l’évolution du projet SARA. Désormais, 4 « piliers » sont traités simultanément:

1) La protection du sol et de sa fertilité

2) La gestion et l’optimisation des systémes d’irrigation

3) La mise en place d’un système de production diversifié basé sur la polyculture rapprochée et l’intégration dans l’environnement naturel de base.

4) La réintroduction d’espèces arboricoles anciennes

 

 

Ici, la famille des pesticides a été bannie il y a bien longtemps, car originairement inexistante. « Si un insecte vient détruire ma plantation, c’est ce que nous avons fait une erreur » nous affirme Seraphin « C’est un simple indicateur, à nous de faire le nécessaire pour rectifier le tire, mais nous ne parlons pas de maladie à éradiquer ». Et quand on parle des biopesticides (qui sont en fait des substances naturelles controlant certaines maladies des plantes), Seraphin est clair « ils ne changent que la couleur de l’étiquette, et ne sont développés que pour le business ».

 

Quelles sont alors les solutions pour garantir la fertilité du sol? « Expérimenter et apprendre de la nature environnante, le désordre est bien l’ordre de la nature!« . En ce qui concerne le premier point, les ingénieurs se sont penchés sur des engrais organiques, de véritables « bouillons » adaptés pour certaines cultures, à base d’eau et de minéraux organiques. Les formules magiques n’existent pas, mais l’analyse des sols permet de décortiquer le « matériel organique » nécessaire au développement des plantes. Nous analyserons le deuxième point plus précisément dans l’article suivant.

 

 

L’irrigation reste un des problèmes majeurs dans ces régions à deux saisons annuelles. Les pluies abondent de novembre à mars mais se font rares le reste de l’année. Il a fallu optimiser la gestion des sources d’eau naturelles montagnardes. Une technique de stockage d’eau sous la forme d’un puits circulaire a été envisagée, récupérant les faibles courants d’eau. Un système de canalisation permet ensuite d’innonder les terrasses les unes après les autres par gravitation, le puits étant toujours situé au point le plus haut de la production agricole. D’autres systèmes comme l’arrosage rotatif permettent de réduire la consommation d’eau, sans consommer d’énergie complémentaire.

 

 

Pourquoi réintroduire enfin des espèces d’arbres  »originaires »? Pour la diversité naturelle, les apports nutritionnels au sol dans cette région au climat montagneux, mais aussi pour la qualité du bois. « Certains arbres anciens donnent du bois doux pour la fabrication d’instruments de musique comme le Charango (petite guitare d’Amérique latine), tout comme des ustensiles de cuisine. »

 

Au total, le centre parroquial accueille 7500 m2 d’agriculture, et produit une grande variété de légumes, fruits et céréales pour la propre consommation des membres du centre. Tous les ans, plusieurs séminaires sont organisés au centre, qui peut accuellir 40 personnes sur plusieurs jours. Des ingénieurs étrangers viennent participer et apprendre des techniques boliviennes, notamment le chilien Enzo Solaris, que nous avions rencontré au « Canelo de Nos« . Preuve qu’une mini-articulation se met en place…

 

Vos reporters sur place

 

MG-MT