Majomut : Producteur d’un café équitable, insertion dans un monde global.

 

San Cristobal de las Casas est bel et bien le fief d’une mobilisation sociale et environnementale. Majomut, producteur de café depuis 1983, a joué la carte de la production biologique depuis 1992. 30 ans d’évolution, 20 ans dans le commerce équitable, et une multitude d’avancées à l’actif de cette coopérative à la créativité débordante. Inspirez, respirez les effluves de café qui remontent du Mexique.

 

Une coopérative solide et solidaire

 

Drôle de nom pour une coopérative de café, seulement si on s’arrête à la barrière de la langue. Majomut signifie « Oiseaux moqueurs » dans la langue Tzotzile, une des communautés indigènes les plus représentées dans le région du Chiapas, au nord de San Cristobal de las Casas.

 

« Cette richesse indigène est un des fondements qui nous permis de passer aux travers des crises économiques » nous témoigne Fernando Rodriguez, coordinateur de Majomut. Des 940 familles qui composent la coopérative, 85% sont tzotziles, 15% sont Celtzoles. 35 communautés de l’alto Chiapas sont représentées, réparties dans 5 municipalités. « Mais notre force vient aussi de la structure démocratique de la coopérative, de la solidité des organes de direction comme le conseil d’administration qui assure la représentation avec les ONG et le gouvernement ou le conseil de vigilance qui gère les contrôles internes de production et de qualité ». Nous sommes bien dans une forme d’économie sociale et solidaire structurelle, productive et démocratique. « De plus, chaque communauté élit un représentant. Les 35 nominés forment l’assemblée de délégués où les propositions des associés sont discutées et les décisions communes sont prises.

 

La solidité de la coopérative permet de figer les prix du café quand il est acheté au producteur. « Et si il y a un bénéfice, les ressources collectives sont d’abord payées avant que l’excédent ne soit partagé entre les associés au prorata du nombre de kilogrammes de café vendus par chacun », continue Fernando. Une solidarité entre ces « actionnaires productifs », qui reçoivent alors la récompense de leur labeur.

 

La transition organique commencée bien tôt (dès 1992), donne aujourd’hui à Majomut la notoriété d’être quasiment 100% biologique. « les derniers producteurs sont en transition {…} mais tout cela ne s’est pas fait en un jour, la transition fut progressive, de 150 à 250 producteurs etc. » De part sa cosmologie orientée vers la conservation de la terre, la culture maya aida à lancer le processus de transformation. « Nous avons une équipe technique, un ingénieur et un technicien agronome qui forment plusieurs promoteurs au sein de chaque communauté, selon leur taille ». Une transmission qui nécessite peu de ressources et renforce l’engagement de chacun. L’Union des Communautés Indigènes de la Région del Ishtmo (UCIRDI), fut un des organismes auprès duquel Majomut appris énormément.

 

Majomut ne réalise que très peu de publicité. « Nous préférons que nos acheteurs transmettent leur intérêt par le bouche à oreille ». Même si les labels aident à la promotion de la coopérative, la meilleur approche passe par la dégustation.

 

La sélection du grain, gage de qualité du café

 

La sélection du café Majomut passe par des tests de saveur en laboratoire. Plusieurs échantillons de café sont mélangés en petits tas pour évaluer le corps, le goût, l’odeur, afin de classer et de valider la production. « Certains acheteurs exigent une saveur floral par exemple, la sélection du café et la variété sont devenus un gage de qualité spécifique de Majomut ».

 

Deux contrôles viennent s’ajouter dans la production. Le premier en interne, au travers de fiches « contrôle de produit ». Les associés effectuent un roulement et vont à tour de rôle évaluer le travail de leurs voisins, afin de garder la certification biologique. Cette dernière est délivrée par un organisme externe qui se base à la fois sur les fiches techniques produites en interne tout en évaluant sur place les réelles pratiques d’agro-écologie. On pratique ici aussi la conservation du sol, l’élaboration de composte organique comme la bonne gestion du milieu environnemental. La révision et les recommandations faites, les producteurs et la coopérative disposent de plusieurs mois pour remplir les objectifs.

 

Le commerce équitable, branche internationale de l’économie sociale et solidaire

 

Quelle doit être la place de l’économie sociale et solidaire pour une coopérative qui vend un produit comme le café, très peu consommé dans la culture mexicaine? Elle se joint tout simplement au marché global en gardant un prix d’achat au producteur équitable. « L’ESS va plus loin que le marché local. Le travail collectif, l’aide mutuelle, c’est réellement ce que signifie l’ESS. Mais on ne peut pas la laisser à l’échelle d’un territoire. Nous dépendons tous les uns des autres ». Du point de vue de la coopérative, il n’y a pas d’autres marchés possible.

 

Ainsi depuis 19 ans, le label commerce équitable joue un rôle prépondérant dans la commercialisation du café Majomut. Chaque année, une analyse globale de la coopérative est réalisée par l’organisme FLO-CERT. Les inspecteurs s’attardent essentiellement sur l’aspect démocratique, la transparence et la reddition de compte.

 

Mais selon Fernando « on perd de plus en plus les objectifs du commerce équitable ». A la base, le commerce équitable a été créé pour faciliter les conditions d’accès au marché des petits producteurs. Malheureusement « le label commerce équitable coût toujours plus cher chaque année ». La multiplication des nouveaux venus et la logique économique poussent le prix des certifications vers le haut. FLO-CERT s’est séparé en deux organismes donnant naissance à Fair Trade USA, qui a lancé un nouveau label « Commerce équitable pour tous ». Selon Fernando, « ce nouveau label n’est ici que pour perdre le consommateur, et donner la possibilité aux plantations agricoles de grandes échelles utilisant des techniques industrielles, d’intégrer plus massivement le commerce équitable ». « Bien entendu le cercle du commerce équitable doit grandir, mais les conditions d’entrée doivent être clarifiées à la base ». Visiblement, les ces grandes plantations agricoles ont plus de facilités financières et les conditions des travailleurs sont très peu évaluées, ce qui diminue leur légitimité aux yeux de Majomut.

 

Fiers et ne voulant pas se faire marcher sur les pieds, Majomut et plusieurs organisations construisent depuis 2006 un réseau international de petits producteurs : La CLAC ou Coordination d’Amérique Latine et des Caraïbes. Regroupant surtout des producteurs de café, mais aussi de cacao et de fruits, le réseau travaille pour leur nouveau label « petits producteurs » à l’intérieur du commerce équitable. L’objectif est clairement de se différencier des grandes plantations agricoles. « il y a déjà des réseaux d’acheteurs qui sont intéressés par le label, et qui comprennent notre volonté de séparation, par compassion ou tristesse certes, mais le marché commence ici ».

 

Développement communautaire intégral

 

Dans la logique coopérative, Majomut achète à ses petits producteurs de café pour limiter les intermédiaires et garantir un prix juste. Cependant, l’organisme ne bénéficie pas d’une autonomie économique, et se voit dans l’obligation d’emprunter de l’argent à des organismes extérieurs comme Root capital. De plus, le label commerce équitable apporte à Majomut la possibilité de bénéficier d’une avance de 60% des importateurs concernant la vente d’un lot de café. Mais c’est souvent insuffisant et cette avance donne toujours lieu à un taux d’intérêt.

 

C’est pourquoi depuis 2004, les associés de Majomut ont fondé une micro-banque paysanne. Aujourd’hui composée de 514 associés, elle gère plus de 3 millions de pesos mexicains (175 00 €). Cette banque au fond propre leur permet de limiter leur dépendance envers les organismes extérieurs. Ainsi, quand Majomut a besoin d’un fond pour vendre ses lots de café, elle emprunte en partie à la micro-banque. Les intérêts restent ainsi dans le cercle des communautés. « Les associés entrent avec une épargne et ensemble ils prêtent leur argent à un intérêt défini, et tout le monde est gagnant ». En situation d’urgence, une partie du capital peut aussi être prêtée à un des producteurs, à hauteur de son épargne.

 

« Cet outil de financement rural s’est adapté aux besoins des communautés, c’est leur système ». Dans un futur proche, l’objectif est d’atteindre l’autonomie financière de la coopérative dans la vente de son café.

 

Pour conclure le développement communautaire, Majomut a aussi lancé une ligne de production alimentaire, gérées par les femmes. A la fin de l’année 1996, les femmes et filles des associées ont fait part de leur inquiétudes quant à la seule production du café et leur non intégration au travail communautaire. Sans expérience dans la culture d’autres produits, elles estimèrent que les promoteurs pouvaient les aider à développer des jardins communautaires pour la production et l’autoconsommation alimentaire.

 

La taille moyenne des exploitations étant de 1 hectare, la place manquait pour développer une nouvelle production agricole. A l’initiative d’un groupe de femmes, on discuta de parcelles collectives, travaillées selon l’accessibilité et la convenance. La production est aujourd’hui distribuée de manière équitable entre les familles ayant participées. Majomut apporte les outils matériels et la technique, mais travaille aussi avec les femmes pour une production optimisée sous serre de tomates, de champignons, de viande animale et d’œufs.

 

« Majomut, ce n’est pas seulement du café », conclut Fernando.

 

A long terme, l’objectif pourrait être de rejoindre un réseau de producteurs et consommateurs responsables. « Cette avancée nécessite des ressources basiques, de l’organisation, de l’investissement personnel, une camionnette, un partenariat etc. Les légumes auront besoin d’être conservés ». Il ne faut pas oublier la vision première de cette production, limiter les transports vers la ville, toujours coûteux. Chaque chose en son temps.

 

Majomut, producteur de café biologique, assure un développement progressif de sa coopérative et de ses associés dans une logique durable qui vise à améliorer la production et la qualité de vie de ses membres. Son insertion dans un monde global montre la nécessité d’organismes internationaux forts, dirigés par des politiques publiques visant à contrebalancer le marché et permettre une meilleur intégration des petits producteurs.

 

Vos reporters sur place,

 

MG-MT

 

 

La Paz : A la rencontre d’un mouvement national

 

Dans les articles précédents, nous avons abordés à plusieurs reprises la notion d’articulation du mouvement d’économie solidaire et sociale, horizontale et verticale. La première distingue le regroupement des organisations locales, la seconde consiste à changer d’échelle, avec la mise en place de réseaux nationaux et internationaux.

 

C’est un processus nécessaire selon les économistes de l’ESS, qui tend à renforcer les réflexions et l’impact des initiatives locales. Il vise à donner de la crédibilité à un mouvement porté depuis le bas de l’échelle par les acteurs locaux. La multiplication de ces « bulles locales » nous à amené à rencontrer le mouvement national bolivien pour une économie sociale et solidaire et un commerce équitable. Récit d’une lutte collective pour une coopération avec les pouvoirs publics.

 

 

Associations, entrepreneurs, doctorants, chercheurs, représentant du gouvernement, organismes internationaux et le dernier invité surprise Alternavista s’étaient données rendez-vous lundi 19 mars. A l’initiative du Centre d’Etudes et de Coopération Internationale (CECI – Canada)  et de la présidente du mouvement pour l’ESS et le CJ Wilma Quinteros, l’assemblée s’est regroupée autour d’une table ronde afin de partager et d’échanger les expériences en matières d’ESS et analyser l’avancée des actions menées conjointement.

 

La seule présence du Vice Ministre du Commerce Intérieur et des Exportations montre la volonté des acteurs de l’ESS de travailler main dans la main avec les pouvoirs publics. « L’un des objectifs principaux du mouvement est d’avoir une réelle incidence sur les politiques publiques pour qu’elles tendent à améliorer les conditions des petits entrepreneurs, appuyées par des textes de lois », nous commente Wilma Quinteros.

 

Plusieurs chercheurs sont allés s’inspirer des expériences voisines en matière d’ESS. C’est le cas de Beatriz Delgado, qui présente ses travaux après un passage au Brésil. « Cela fait déjà 10 ans que le Brésil s’est doté d’un Secrétariat d’Etat dédié à l’ESS. Il y a de nombreuses avancées, le mouvement est reconnu et impulsé par l’Etat, qui achète par exemple aux producteurs à un prix juste ». L’Equateur quant à lui est un pays souvent cité pour être le seul à avoir intégrer l’ESS dans sa constitution et dans les textes de lois.

 

Certains représentants d’associations d’artisans et de producteurs boliviens ont fait le déplacement. Leur intérêt est tourné vers les organismes de finances solidaires, à qui la seconde partie de l’atelier est réservée. « Nous devons évidemment conter sur les finances solidaires, qui doivent être soutenues par les politiques publiques de la même manière. Plusieurs banques se disent de microcrédit populaire mais ne répondent pas aux critères des producteurs, les requis étant inatteignables tout comme la hauteur des crédits prêtés » continue Wilma.

 

 

Porte parole de son association regroupant 1300 familles d’artisans, Emilana Yogua nous confie que « La qualité des produits est très liée à la l’organisation et à la gestion économique et financière, à l’analyse des coûts. Nous partageons nos idées sur la production, l’innovation, la qualité. Ces échanges internes résultent de la solidarité qui nous lient et nous font travailler dans cette logique d’économie sociale et solidaire de manière efficace »

 

Au total, 75 organisations ont rejoint le mouvement bolivien depuis sa création en 2008. « Le réseau devrait croître plus rapidement, mais nous avons la volonté de renforcer les organismes productifs du pays, en améliorant les capacités de production. Cela passe par des stratégies de formation, d’accompagnement, mais aussi de communication au niveau du gouvernement, du milieu académique et dans les médias », nous affirme Dario Alanoca de l’organisme Caritas Bolivianas, qui fait en plus partie de la table technique du mouvement.

 

 

C’est d’ailleurs sur ces thèmes de diffusion qu’est centrée l’intervention du Monsieur Velasco. Chercheur pour le Forum International d’Economie Sociale et Solidaire (FIESS), il présenta les résultats boliviens d’une étude transversale sur l’ESS quant à l’avancée des politiques publiques dans plusieurs pays du monde comme l’Espagne, le Canada, l’Afrique du sud ou encore le Mali. Enrichi de ces autres expériences, Monsieur Velasco considère plusieurs axes de réflexion pour renforcer les liens entre les pouvoirs publics et la société civile bolivienne :

 

- Renforcer la recherche théorique et appliquée pour avoir des indicateurs visibles et des mesures concrètes de l’avancée des différent formes de l’ESS.

 

- Etendre la plateforme d’associés stratégiques, dans le public au niveau départemental, régional  comme au sein des syndicats et des entreprises.

 

- Jouer sur des terrains compétitifs en matière d’ESS et commerce équitable.

 

- Articuler les stratégies autour d’autres formes du développement comme la sécurité alimentaire, le respect de l’environnement, l’aspect générationnel et l’intégration de la femme.

 

Le FIESS s’est déroulé en octobre dernier à Montréal, devant 86 pays représentés et plus de 1500 personnes réunies. Une marque de l’intérêt mondial porté à l’ESS.

 

L’atelier s’est terminé par une réflexion collective sur les actions à mener pour renforcer le mouvement bolivien d’ESS. Trois groupes de travail se sont formés et doivent rendre compte de l’avancée des travaux boliviens, sous deux mois, et sur les thèmes suivants :

 

- Relation entre la société civile et le secteur public à tous les niveaux

 

- Education en Economie Sociale et Solidaire

 

- Promotion, sensibilisation et diffusion de l’ESS

 

En fin de journée, Wilma nous accorde sa conclusion de cette journée de travail « Il nous manque des campagnes massives de diffusion autour de l’ESS, mais cela représente du temps, de l’engagement et de l’investissement volontaire. C’est aussi passer moins de temps auprès de sa famille. Il n’y a aucun intérêt économique, nous nous battons pour un développement humain intégral, pour que la Bolivie sorte de la pauvreté. Nous allons dans le bon sens, vers l’équité ».

 

 

Partager, réfléchir, agir. L’ESS en Bolivie prend ses racines dans son capital humain.

 

Vos reporters sur place,

 

MG-MT

 

NorteSur et Gente Nueva stimulent le dynamisme populaire de Bariloche

 

Aux premiers abords, San Carlos Bariloche se caractérise comme une petite station balnéaire coquète. Bordée par le lac Nahuel Huapi, la ville voit défiler les touristes en toute saison, offrant à la fois les joies du ski en hiver et les activités outdoor en été. Les jeunes l’apprécient pour ces discothèques réputées. Cependant, en montant les collines de la ville, un paysage très populaire s’offre à nous. Les routes ne sont plus goudronnées, la poussière vole. C’est dans ses quartiers reculés que les organisations NorteSur et Gente Nueva travaillent au jour le jour.

 

Ici, la population entière voue son activité quotidienne au tourisme. Au sein des classes populaires, les maris sont  maçons, charpentiers, plombiers ou électriciens. La raison est simple, ici, on construit des hôtels. Les femmes quant à elles sont artisanes. Elles fabriquent toute sorte d’objets vendus ensuite sur les « Férias artesanales ».

 

NorteSur renforce les capacités productives des  petits entrepreneurs

 

Fondée en 1985 à Buenos Aires, NorteSur ouvra une antenne à Bariloche au début des années 2000. L’association oriente ses actions autour d’un objectif unique: aider les nouveaux auto-entrepreneurs populaires de Bariloche à s’en sortir.  Valeria nous explique le fonctionnement de son association.

 

D’abord organisme d’éducation, NorteSur assure une assistance technique pour des groupes d’entrepreneurs, abordant la gestion commerciale et la gestion administrative. La ligne de mire étant de fournir des outils et de développer des compétences pour ensuite faciliter l’autogestion des entrepreneurs. Il est important de rappeler que la majorité de ces personnes ne vont pas à l’université.

 

En 2005, NorteSur évolue vers une institution de financement, valorisant l’association des entrepreneurs. L’organisme reçoit un fond de l’état dans le cadre du programme du ministère du développement social, qu’il administre à des groupes d’entrepreneurs, afin de renforcer la solidarité par la garantie mutuelle. Grâce à la mutualisation du crédit et des formations, NorteSur accompagne les entrepreneurs vers la voie de l’indépendance.

 

Au total, 270 auto-entrepreneurs ont bénéficié de la formation de NorteSur depuis sa création.

 

Un programme orienté vers l’amélioration de l’habitat

 

Depuis 2010, NorteSur se dédie à un programme de crédit pour l’habitat. En effet, les hivers sont rudes à Bariloche, les températures descendent à-10ºC. Un nouveau rythme s’installe, les gens se lèvent vers 11h à cause du froid et se couchent tôt devant la gazinière au bois. Un triste constat, les gens meurent de froid, en particulier les nourrissons. Dans certaines maisons, le toit est posé sur les murs laissant des grands courants d’air. De plus, les familles sont nombreuses (5 à 7 enfants) et dorment souvent tous dans la même pièce. L’hygiène de vie est aussi souvent limitée.

 

Dans deux quartiers très précaires de Bariloche, le programme a pris forme. Par groupes de 3 familles, les personnes reçoivent un crédit d’une première valeur de 3 000 pesos (600 €) afin d’améliorer leur logement. Trois postes sont primordiaux:

 

-40% des crédits sont dédiés au raccordement au réseau de gaz, afin de se chauffer en hiver

 

-30% sont dédiés à la création d’une pièce supplémentaire.

 

-30% des crédits améliorent la qualité des toilettes et de la salle de bain

 

Aujourd’hui, c’est 80 familles qui bénéficient de ce programme de financement. Le crédit est à 85% gérée par les femmes, les hommes se chargeant de la construction. Dans ses quartiers très modestes, il n’est facile d’instaurer un climat de confiance entre les gens, mais pour les membres de NorteSur, il est indispensable de franchir cette barrière afin de se rendre compte de la réalité pour pouvoir agir dans la bonne direction. L’accompagnement renforce la solidarité entre les familles, les hommes travaillant ensemble pour rénover une par une les maisons. Ici, les mots ont plus d’importance que les contrats signés.

 

Si la première étape de remboursement du crédit fonctionne bien dans le groupe, un second crédit du double de la valeur initiale est accordé.

 

Valeria nous raconte l’histoire d’une femme qui, le jour où elle reçue son crédit, dit à sa mère : « Je te le jure maman, aujourd’hui c’est la dernière fois qu’on meurt de froid ! «. Elle utilisa le crédit pour finir le toit de la maison.

 

Un programme qui suscite un grand intérêt et qui pourrait s’étendre à d’autres quartiers.

 

Gente Nueva, coordinateur de « banquitos populares »

 

Nous sommes reçus dans une les locaux d’une école d’un des quartiers nord de Bariloche, là où se réunit un « banquito » appartenant au réseau de banques populaires Buena Fe.  Créée en 1998, ce réseau national de banques de quartiers se développe sous l’aile du ministère du développement social depuis 2004, après que sa ministre Alicia Kirchner ne l’incorpore à la Commission Nationale de Microcrédits. Aujourd’hui, c’est 40 millions d’euros de budget global annuel qui est géré par le réseau, 650 organismes de quartiers créés et 50 000 crédits octroyés. 90% des bénéficiaires sont des femmes. Le seul contrat qui s’établit est celui de la « valeur de la parole »

 

Des antennes régionales travaillant avec des associations sur place comme Gente Nueva mettent en place le programme d’accompagnement solidaire.

 

Le microcrédit n’étant pas une fin en lui-même, la complémentarité d’une formation a pour objectif de renforcer l’auto-entrepreneuriat et de développer le commerce local. Blanca et Laura travaillent pour Gente Nueva comme coordinatrice de banque. Elles nous expliquent le programme menant au lancement d’une nouvelle entité :

 

Un groupe de cinq personnes se constitue, chaque associé ayant une activité économique différente. La formation est assurée par un coordinateur suivant la logique des « 7 étapes ». Une étape est vue ici comme un réunion durant laquelle le promoteur oriente les activités économiques, apportant une consultation dans le but d’aider les entrepreneurs à évaluer les coûts, les bénéfices, mais aussi les pertes, les risques et les difficultés quotidiennes. Après avoir passé ce cap des 7 réunions, le groupe se lance dans une « Semaine d’entrainement ». Le groupe choisit alors un nom pour la banque et le coordinateur définit l’échelle progressive du microcrédit accordé. La première somme accordé est normalement de 400 pesos (soit 80€) et peut atteindre 1500 pesos. Les membres commencent à rembourser le premier crédit une semaine après son obtention, et ce sur une période de 24 semaines. En plus du remboursement hebdomadaire, chaque membre de la banque donne en plus un complément servant à alimenter le « Fond d’épargne solidaire » servant de garantie au groupe en cas de problème inopiné d’un des entrepreneurs.

 

Toutes ces rencontres se déroulent au sein d’un centre communautaire, souvent dans des salles de classe réservées le soir. C’est ici que se décide les évolutions stratégiques des activités, le choix des futurs férias fréquentées, les bilans financier etc. Le tout autour d’un maté (boisson traditionnelle argentine) et de quelques gâteaux. Enfin il ne faut surtout pas oublier que c’est un lieu de rencontre où les femmes s’écoutent et se racontent leurs histoires familiales, partagent leurs impressions, leurs espérances et leurs inquiétudes sur leur activité.

 

Aujourd’hui, Blanca et le groupe évaluent les gains de la dernière féria municipale. Des sacs plastiques supplémentaires ont été acheté en gros pour confectionner de nouveaux objets pour la prochaine féria. Les femmes présentent échange et partage leurs nouvelles techniques de confection. 3 personnes sont désignées pour la féria du samedi suivant, où les objets de chacun seront vendus. Blanca récupère l’argent issue des remboursements et de l’épargne, pour ensuite le mener sur le compte commun dans une des banques nationales. L’argent ne reste pas dans un coffre privée.

 

A l’échelle de Bariloche, 10 banquitos ont vu le jour depuis l’arrivée de la branche régionale du réseau de la Buena Fe. La valeur de la parole prime sur le contrat dan ces organisations de quartier qui ont pour objectif d’améliorer la qualité de vie des personnes des classes populaires ayant une ferveur et une passion pour leur travail. La solidarité est ici un moteur sociale pour renforcer l’économie locale.

 

Vos reporter sur place,

 

MG-MT

 

Nuestras Huellas : Quand la finance solidaire rencontre l’éducation populaire

Midi, le chauffeur de bus nous dépose sur l’avenue principale du quartier de Don Torcuarto, une banlieue nord de Buenos Aires. Les bureaux de Nuestras Huellas ne sont pas loin, où sommes accueillis par son directeur Nicolás Meyer. Nous partageons quelques empeñadas locales dans le jardin de la petite bâtisse. C’est avec un enthousiasme certain que Nicolás nous présente son organisme.

 

Fondée en mars 2007, Nuestras Huellas est une association civile à but non lucratif. Son nom « Nos empruntes » reflète l’idée de se réapproprier les mécanismes de finances de manière plus solidaire. Selon Nicolás, la finance est un monde qui peut « paraitre abstrait et éloigné de la réalité ». Ainsi, l’équipe de Nuestras Huellas propose des programmes de finances solidaires dans les quartiers populaires du nord de Buenos Aires, en développant des outils de formation continue.

 

Ce cocktail de micro finance et d’éducation populaire a donné naissance au programme clé de Nuestras Huellas : Les banques communales.

 

Une banque communale, composée au minimum de 7 personnes, est une organisation de quartier gérée de façon autonome. Ces associés doivent tous être auto-entrepreneurs, seule condition imposée par Nuestras Huellas. Dès lors, chacun reçoit un crédit de la part de Nuestras Huellas qu’ils peuvent investir dans leur activité ou utiliser pour améliorer leur qualité de vie (crédit à la consommation). La garantie est solidaire ce qui incite les membres à se regrouper entre personnes de confiance.

 

Les taux d’intérêts sont de 5% par mois soit 60% par an. Cela peut paraître élevé mais les prêts accordés se remboursent sur une moyenne de 4 mois. On parle alors de micro-crédit.

 

Parallèlement, Nuestras Huellas a une activité de formation, avec deux objectifs principaux : l’autonomie financière et l’autonomie de gestion. Ainsi, l’association incite les membres à épargner une somme qui peut ensuite être prêtée à d’autres voisins. Ils créent alors leur propre ligne de crédit. A la fin du premier cycle de remboursement , les membres se réunissent avec un coordinateur et analysent le bilan financier. En fonction de l’épargne prêtée, ils se partagent les taux d’intérêt et définissent les nouvelles orientations (demandes de nouveaux prêts). Après plusieurs cycles, la banque s’autonomise et devient indépendante de Nuestras Huellas.

 

Chiffres clés :

 

Après 5 ans d’activités,Nuestras Huellas accompagne plus de 120 banques communales, dans plus de 42 quartiers. Au total, ces banques détiennent 150 000 € ( soit un peu plus de 1000€ par banque en moyenne). Nuestras Huellas permet à 1200 personnes d’accéder au crédit direct et touche 900 autres voisins indirectement par les crédits dérivés. Un chiffre clé, 95% des associés sont des femmes.

 

Sur les 23 personnes qui travaillent pour Nuestras Huellas, la moitié sont des coordinateurs de quartier, qui ont eux mêmes été associés dans une banque communale. Ainsi, les formations sont basés sur l’expérience, le partage et l’écoute des associés. Nuestras Huellas incite à la réflexion de groupe et au dialogue pour parvenir à la résolution des conflits d’intérêts qui peuvent malgré tout survenir. Une méthodologie centrée sur la démocratie participative au sein de la banque.

 

Nuestras Huellas travaille en parallèle avec les réseaux de communication de quartier afin de renforcer les liens entre producteurs et consommateurs, développant ainsi le commerce local.

 

A l’échelle nationale, l’association fait aussi partie du réseau ENESS (Espacio National de Economía Social y Solidaria) qui regroupe les organisations de l’économie solidaire et sociale dans l’espace régional MERCOSUR (Mercado Commun del Sur, espace d’échanges commerciaux  entre les pays d’Amérique du sud).

 

Evolutions à venir:

 

L’équipe s’est posée la question de se développer dans d’autres villes du pays en créant d’autres agences. Après réflexion, ils ont préféré transmettre leur expérience à d’autres organisations pour faciliter la création de ce type de projet. Pour cela Nicolás organise des formations publiques dans plusieurs villes d’Argentine et au Paraguay.

 

Enfin, Nuestras Huellas participe à un programme visant à développer une banque éthique à l’échelle nationale. 15 organisations sont impliquées et travaillent actuellement sur le cadre juridique.

 

Pour plus d’informations (et en français!) : http://www.nuestrashuellas.org.ar/findex.html

 

Vos reporters sur place,

 

MG-MT